Itinéraire PHILOSOPHIQUE
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« Seule une intelligence en appétit de vérité peut être au service de la foi. »
C’est au début de ses études au Saulchoir que le père Marie-Dominique Philippe a saisi la nécessité de redécouvrir un véritable itinéraire philosophique, en constatant que les voies d’accès à l’existence de Dieu telles qu’elles sont exposées dans la Somme théologique (I, q. 2, a. 3) sont inintelligibles lorsqu’on les regarde, ainsi que l’ont fait la scolastique et le thomisme, comme des voies philosophiques. Ces voies étant, de fait, élaborées dans une perspective théologique (de doctrina sacra) et critique, et présupposant toute la recherche proprement philosophique d’Aristote, spécialement sa découverte de la cause finale de ce-qui-est, l’être-en-acte, le père Philippe a alors entrepris de revenir à Aristote, de se mettre directement à l’école de celui que saint Thomas appelle « le Philosophe ».
« Le propre du sage est d’ordonner », dit souvent saint Thomas à la suite d’Aristote. Or la scolastique, en voulant tirer une philosophie de la théologie de saint Thomas, n’a absolument pas respecté l’ordre propre de la philosophie.
C’est cet ordre d’une philosophie réaliste, cet itinéraire propre vers la sagesse philosophique, distincte de la sagesse théologique, qu’il fallait redécouvrir.
Au cours de son enseignement à l’Université de Fribourg, de 1945 à 1982, le père Philippe a donc, dans cette lumière, cherché à reprendre toute la philosophie, à partir de l’expérience, et par la recherche des causes propres à chacune de ses parties.
Il a ainsi redécouvert l’importance capitale de l’induction dans l’itinéraire philosophique. Ses recherches se sont développées dans tous les domaines de la philosophie :
– la découverte de l’homme capable de transformer l’univers (philosophie de l’art) à partir de l’expérience du travail, de la réalisation d’une œuvre ;
– la découverte de l’homme capable d’aimer et d’être responsable d’un autre (philosophie éthique), à partir de l’expérience de l’amour d’amitié, expérience qui est le véritable point de départ d’une philosophie éthique réaliste ;
– ces deux développements pratiques de la philosophie sont bien, avec la philosophie politique, elle aussi pratique, qui part de l’expérience de la coopération, le point de départ de toute philosophie réaliste.
Le père Marie-Dominique Philippe a montré que c’est à partir de là que peut se développer une philosophie dite « spéculative », qui cherche la vérité pour elle-même :
– dans une philosophie de la nature, qui cherche à connaître la matière, au-delà de sa transformation par l’artiste dans le travail, et regarde l’homme comme partie de l’univers par son corps ;
– dans une philosophie du vivant, qui cherche à connaître l’homme comme vivant, au-delà de l’expérience de l’amour d’amitié qui peut être brisé par la mort.
Mais c’est surtout en philosophie première (métaphysique), que le père Philippe a développé son enseignement. Il a remis en lumière l’importance capitale du jugement d’existence au point de départ de la philosophie première.
C’est à partir de cette recherche de philosophie première, qui se structure par la découverte inductive des principes propres de ce-qui-est, l’ousia et l’être-en-acte, et qui s’achève avec le regard sur la personne humaine, qu’il a repris du point du vue proprement philosophique le problème des voies d’accès à l’existence d’un Etre premier que les traditions religieuses appellent Dieu, pour redécouvrir ainsi ce qu’est la sagesse et le jugement de sagesse philosophique : la découverte par le philosophe de l’exister de l’Etre premier, de cette Personne première ; la contemplation de ses manières propres d’exister, de sa vie propre de lumière et d’amour ; le problème de la relation de cette Personne première et de l’homme (la Création) ; le regard sur l’homme comme créature et capable d’adorer (jugement de sagesse).
En théologie, il a cherché à comprendre l’intention profonde de saint Thomas : qu’est-ce qu’une théologie scientifique (cf. Somme théol., I, q. 1), telle que saint Thomas l’entend ? Et il a essayé de comprendre comment cette théologie scientifique réclame une théologie biblique, une théologie de l’Eglise et une théologie mystique.
En effet, la foi ne transforme pas la structure de notre intelligence humaine. Il faut donc comprendre les grandes dimensions de la parole de Dieu comme point de départ d’un développement proprement théologique.